Madame Clotilde. La détective sous la couette
Elle vivait au quatrième étage, se levait aux aurores, réveillait toute la famille, pressait les enfants pour qu'ils ne fussent pas en retard à l'école, bavardait avec les voisins, sortait dans la rue et veillait à ce que la cour fût en ordre. C’était une dame affairée. Sa journée commençait très tôt, mais à neuf heures du soir précises, où qu'elle se trouvât, elle se précipitait dans sa maison, se couvrait d’une couette de la tête aux pieds et tout ce qui l’entourait lui devenait absolument indifférent.
Ah oui ! J'ai oublié de préciser que Madame Clotilde est un petit teckel nain à poil roux avec un nez de renard pointu et une longue queue fine qui ne cesse de remuer. Et que sa maison est la caisse de transport dans laquelle elle a été achetée à un éleveur par ses parents humains. Elle a beaucoup grandi depuis, mais elle y entre toujours, occupant presque tout l'espace intérieur.
Le début de la journée ne laissait présager rien de spécial. Comme d'habitude, elle se réveilla avant tout le monde et vérifia dans le bol si quelque chose de savoureux y était apparu pendant la nuit, mais non. Dommage. Elle but un peu d'eau et alla voir ses maîtres. Ils dormaient profondément, comme de coutume. Son papa humain émettait des reniflements à peine audibles. Elle sauta sur le lit avec ses pattes avant, s’efforçant de le faire le plus vigoureusement possible afin d’observer de plus près les yeux de sa maman humaine, car celle-ci ne dormait souvent pas, faisant semblant d’être assoupie pour pouvoir rester au lit plus longtemps. Clotilde la regarda très attentivement. « On dirait qu’elle dort vraiment », décida-t-elle. Elle essaya d'atteindre le visage de sa mère avec sa langue, tirant son museau aussi loin que possible pour pouvoir la lécher et la réveiller enfin. Mais ses pattes arrière glissèrent traîtreusement et Clotilde tomba sur le sol, les pattes écartées. En se relevant, elle regarda à nouveau sa mère et son père, mais il semblait qu'elle ne parviendrait pas à les réveiller aujourd'hui. « C’est ennuyeux », pensa-t-elle. Et elle partit chercher de quoi se divertir.
Les amusements ne manquaient pas. Elle enjamba indifféremment l'oie et le sifflet en caoutchouc mordillé et se précipita dans la pièce voisine vers une chaussette solitaire, si négligemment abandonnée la veille par son père humain. Quelle odeur ! Elle enfonça ses dents dans la chaussette, la projeta en l'air, l'attrapa à nouveau, la mordit pour essayer de la déchirer. Tout à coup, en plein jeu, elle entendit un bruit. C'était sa maman humaine qui se levait pour préparer un café. Clotilde laissa tomber la chaussette et s'élança de toutes ses forces dans la cuisine, mais s'arrêta à mi-chemin, revint à la chaussette et la lança habilement. Une seconde plus tard, un claquement de dents se fit entendre et la chaussette se trouva remisée dans la maisonnette de Clotilde, soigneusement enfouie sous sa couette. Pourquoi donner à maman une raison de se fâcher de bon matin ?
Le regard encore endormi, la maman humaine de Clotilde se tenait dans la cuisine, versant du café dans la machine. Clotilde sauta sur elle, incapable de lui dire combien elle lui avait manqué pendant la nuit et combien elle était heureuse de la revoir. La machine à café, qui n’était pas non plus réveillée, se mit à ronchonner et à remplir la tasse d’un liquide noir. Maman se contenta de caresser doucement la tête de Clotilde en passant et commença à préparer le petit déjeuner. Puis papa apparut dans la cuisine, déjà habillé pour la promenade et tenant la laisse. Folle de joie, Clotilde se précipita vers lui en remuant frénétiquement la queue. La promenade !
Dehors, l’air était suffocant. Papa marchait lentement. Clotilde commença par sautiller, mais l'air chaud l’accabla bientôt. Sur le chemin du retour, papa rencontra un voisin, si bien qu’ils s’arrêtèrent. Pendant que papa parlait de roues et d'huile de moteur, Clotilde, écrasée par la chaleur, décida de s'asseoir. « Cela va être long », pensa-t-elle.
Non loin d'eux, un pigeon secouant nerveusement la tête marchait lentement mais résolument sur l'asphalte chaud en direction d'une flaque d'eau. Il imaginait déjà le plaisir qu'il éprouverait à se baigner et ne prévoyait pas de sortir de la flaque avant le soir. Du coin de l’œil, il aperçut des gens et un chien, mais n'y prêta pas attention. Il savait que les citadins ne présentaient aucun danger. Quant au chien… eh bien, il était presque endormi. Il ne se soucierait certainement pas de lui.
Souffrant d'oisiveté, Clotilde était sur le point de s’endormir lorsqu'un pigeon passa non loin d’elle en battant le rythme avec sa tête. Tous trois n'eurent que le temps de cligner des yeux. Lorsque papa rouvrit les yeux et retint enfin Clotilde par la laisse, le pigeon contemplait sa queue, dont le fier apparat avait laissé place à une peau blanche de poulet plumé, honteusement recouverte d’un petit duvet d'où ne dépassaient fièrement que deux plumets solitaires. Clotilde s'efforça de recracher les plumes restantes de sa bouche. Papa s’empressa d’achever sa conversation avec le voisin et se dirigea vers la maison, entraînant avec lui Clotilde. Celle-ci était de bonne humeur et satisfaite d'elle-même.